Genève: vers un nouveau statu quo dans le Caucase du Sud

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Par Sergueï Markedonov, pour RIA Novosti
Par Sergueï Markedonov, pour RIA Novosti

Le 18 février, au Palais des Nations de Genève, a pris fin le quatrième round des consultations sur la sécurité et la stabilité dans le Caucase du Sud - c'est le nom donné, dans les milieux diplomatiques, aux pourparlers sur un nouveau statu quo dans cette région de conflit. Les délégations de la Russie, de la Géorgie, de l'Abkhazie, de l'Ossétie du Sud et des Etats-Unis, ainsi que les représentants de l'ONU, de l'Union européenne et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont participé à ces consultations. Il est à noter que les Abkhazes et les Ossètes ne représentent pas officiellement leurs Etats. Selon les ententes intervenues, ils interviennent à titre individuel mais, en réalité, ce "politiquement correct" est destiné à aider la délégation officielle géorgienne à "sauver la face". Il est parfaitement clair pour tout le monde, y compris les représentants de Tbilissi, que, sans l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, les discussions de Genève n'auraient pas de sens.

En termes sportifs, nous dirions que le quatrième round n'a pas donné de vainqueur (pas plus, du reste, que les trois rounds précédents). C'est, probablement, le bilan principal des pourparlers, mais quelques tendances importantes ont été relevées (ou, plus précisément, confirmées) au cours de cette rencontre.

Tout d'abord, les discussions sont passées de l'action idéologique (comme c'était le cas au début) au travail de routine des diplomates. Lors de ce quatrième round, elles se sont déroulées dans deux groupes thématiques et en séance plénière. Le premier groupe s'est penché sur les questions de sécurité. Il est à noter que ni le statut de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, ni les problèmes globaux du règlement pacifique, qu'il était évidemment impossible de résoudre en deux jours, n'ont été mis au coeur des discussions. Celles-ci ont porté sur l'organisation d'un monitoring acceptable et l'élaboration de mécanismes destinés à prévenir de nouveaux incidents. A cette fin, les représentants de la Géorgie, de la Russie, de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud ont notamment reçu la recommandation de se rencontrer chaque semaine dans le village géorgien d'Ergneti.

Le deuxième groupe a concentré son attention sur les aspects humanitaires (réfugiés, déplacés), et non sur les problèmes politiques et juridiques. La question essentielle étant, à cet égard, la libre circulation du fret humanitaire.

Il convient de souligner que la rhétorique des fonctionnaires qui participent aux pourparlers devient de plus en plus douce et constructive, d'un round à l'autre. Personne n'évoque plus les "cadavres politiques", les "régimes criminels", les "occupants" et les "lignes rouges". Chaque nouveau round des pourparlers de Genève n'est plus considéré comme une bataille diplomatique. De plus, on peut constater que l'intérêt des médias (russes et européens) pour cet événement diminue. Le sujet des pourparlers est devenu trop "technique". Il intéresse donc, avant tout, les experts qui suivent les processus politiques dans le Caucase. Alors que pendant le premier round, les diplomates géorgiens avaient catégoriquement refusé de traiter avec des "séparatistes agressifs", en revanche, lors du quatrième, ils ont déjà établi des mécanismes concrets de travail commun au sein des groupes thématiques. Les passions se sont apaisées. Cela profite, en premier lieu, à l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, qui rehaussent indirectement leur statut, pas à pas. Elles tentent également de faire preuve, d'un round à l'autre, d'un meilleur esprit constructif.

Ainsi, les Abkhazes ont préparé des propositions concrètes pour les discussions de février, visant à faire des rencontres de Genève un mécanisme permanent, en remplacement du Groupe des amis du Secrétaire général de l'ONU pour la Géorgie (dont faisaient partie la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France, les Etats-Unis et, jusqu'à août 2008, la Russie). Ce travail de routine et les propositions constructives contribuent mieux à la reconnaissance, de facto, des deux anciennes républiques autonomes de la Géorgie qu'une "vague de reconnaissances" émanant d'Etats d'Afrique ou d'Amérique latine.

A présent, nombreux sont ceux à qui il apparaît clairement que le processus de Genève, c'est "du sérieux", et pour longtemps. Les illusions (particulièrement bien ancrées en Géorgie), selon lesquelles les deux conflits caucasiens seraient quelque chose d'unique, n'ayant rien à voir avec Chypre, les Balkans ou le Proche-Orient, et pourraient être réglés rapidement pour peu que "Moscou fasse preuve de bonne volonté", se dissipent. A vrai dire, la compréhension du fait que, quel que soit le statut d'un territoire litigieux ou le drapeau qui y flotte, sa population doit bénéficier des droits de l'homme élémentaires, peut être considérée aussi comme un résultat intermédiaire des pourparlers.

Un dernier point, enfin, et non le moindre. Pour Moscou, la continuation des pourparlers de Genève est un moment important du développement des rapports avec l'Occident. Tout en étant devenu un prétendant au statut de puissance "révisionniste" après avoir reconnu l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, Moscou voudrait néanmoins conserver le statu quo là où c'est possible. La Russie l'a prouvé dans le processus de règlement du conflit du Haut-Karabakh en prenant l'initiative de signer la déclaration de Moscou. Cela se voit bien, dans ses rapports avec l'Occident, non pas dans un document précis, mais si l'on considère les thèses et les déclarations dans leur ensemble. A présent, Moscou essaie de protéger un nouveau statu quo dans le Caucase du Sud. Les pourparlers de Genève l'aident en cela.

Les Occidentaux ne voient plus la "guerre des cinq jours" et ses conséquences tout en blanc ou tout en noir. Les Etats-Unis aussi bien que l'UE sont disposés à examiner les problèmes du Caucase avec la Russie, au lieu d'isoler cette dernière. Les discussions ont débuté, mais nul ne sait quand elles prendront fin.

Sergueï Markedonov est chef du département des relations interethniques à l'Institut d'analyse politique et militaire de Russie.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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