Chypre: vers une base russe en Méditerranée?

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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L’agence RIA-Novosti indiquait il y a quelques jours que le nombre de Russes ayant effectué des déplacements à l’étranger au cours des six premiers mois de l'année avait atteint 19,8 millions, et que le nombre de touristes avait lui aussi augmenté, passant sur 6 mois à 6,47 millions.

L’agence RIA-Novosti indiquait il y a quelques jours que le nombre de Russes ayant effectué des déplacements à l’étranger au cours des six premiers mois de l'année avait atteint 19,8 millions (soit une hausse de 6% par rapport au premier semestre 2011), et que le nombre de touristes avait lui aussi augmenté, passant sur 6 mois à 6,47 millions, soit une hausse de 6,6%. Parmi ces 6,47 millions de touristes russes, les 2/3 ont visité des pays lointains et seulement 1/3 la CEI.

J’ai déjà il y a près d’un an donné les grands traits des comportements touristiques russes. Bien sur les Russes recherchent avant tout chaleur et lumière, puisque plus de 35% des touristes Russes partent à l’étranger en bord de mer. Pour cette raison les destinations prisées sont la Turquie (936.400 touristes) et l’Egypte (804.000), qui proposent évidemment des solutions accessibles pour la classe moyenne russe. Derrière, la Chine reste la troisième destination la plus fréquentée par les touristes russes avec déjà 572.700 touristes en 2012. L’Espagne est également une destination très appréciée et devrait cette année voir plus d’un million de touristes russes.

En Asie, Singapour connait une hausse de 30% des touristes russes. En Méditerranée, Israël connait également une hausse de 30% des touristes russes en 2012 par rapport à 2011. Enfin la Grèce et Chypre gagnent aussi en popularité, même si en Grèce c’est la crise qui semble justifier la hausse des touristes russes, avec notamment la forte baisse des prix. Avec 146.000 touristes en 2007, 181.000 en 2008, 149.000 en 2009 (effet de la crise), 224.000 en 2010, 334.079 en 2011 et déjà 371.500 sur les 7 premiers mois de 2012 c’est l’île de Chypre qui tend de plus en plus à devenir une réelle base touristique russe, au cœur du monde méditerranéen.

Cette histoire d’amour entre la Russie et Chypre ne se limite pas aux flux touristiques récents. Historiquement, Chypre a connu plusieurs vagues d’immigration russe. Dans les années 20, à la suite de la Révolution soviétique, des russes ont émigré vers Chypre pour travailler dans les mines d’amiante ou de pyrite. Plus récemment, ce sont des Pontiques qui ont émigré vers Chypre. Les Pontiques sont des Russes d’origine grecque qui se sont réfugiés en URSS après avoir été chassés de leurs terres par les Turcs, au début du 20ème siècle. Une partie de ces "grecs du Pont-Euxin", après avoir vécu presque un siècle en Union Soviétique est venue s’installer à Chypre après la chute de l’URSS. Dans les années 90, Chypre connaîtra une autre immigration russe, celle des capitaux off-shores.

Depuis quelques années, le visage des Russes de Chypre s’est considérablement modifié et ce sont les "nouveaux Russes" de la classe moyenne supérieure ou supérieure qui viennent s’installer sur l’île, attirés tant par le climat et le soleil que par le climat des affaires (L’impôt sur les sociétés à Chypre est de 10%). Le fait que l’île fasse partie du monde orthodoxe est un attrait supplémentaire pour beaucoup d’entre eux. Aujourd’hui près de 50.000 russophones habiteraient sur l’île et près de 25% des dépôts bancaires à Chypre seraient d’origine russe. Rien de surprenant à ce que la petite île soit le premier investisseur étranger en Russie.

Dans la ville côtière de Limassol, rebaptisée par les Russes « Limassolgrad », tout est en russe, les menus des restaurants, les enseignes de boutiques, les annonces immobilières. Il y a à Limassol un journal russe, une chaine de télévision russe, une chaine de radio russe, et deux écoles russes. Depuis 2008, l’île est en outre gouvernée par un président "communiste" Dimitris Christofias, russophone et jugé très proche de Moscou où il a fait ses études. C’est donc sans surprise que le gouvernement chypriote, qui fait face aux retombées de la crise grecque, a obtenu un prêt de 2,5 milliards d’euros en 2011 et a récemment fait une autre demande de 5 milliards d'euros à la Russie, soit autant qu’à l’Union Européenne. Il est d’ailleurs extraordinaire de noter que cette demande de prêt de l’Etat chypriote à été formulée par le primat de l’église orthodoxe chypriote, signe très clair de la proximité culturelle et spirituelle entre les deux pays.

Désormais, il semblerait de moins en moins improbable que la Russie puisse envisager d’installer une base militaire à Chypre, au cœur de la Méditerranée et sur le flanc oriental de l’Europe. Pour les Russes, cette base serait une chance incroyable de garder une présence dans la "mer au milieu des terres" alors que la situation en Syrie serait plus qu’incertaine. Pour Chypre, l’appui financier et militaire russe serait un gage de stabilité face à la crise financière et se sécurité face à son grand et menaçant voisin. Quand à l’Union Européenne, elle pourrait se servir de cette poussée russe vers l’Ouest et en Méditerranée (via Chypre et sans doute la Grèce demain) pour développer sa politique vers l’Est et l’Asie, via la Russie et la Sibérie.

L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

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