Pourquoi Vladimir Poutine?

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Soixante ans c’est seulement deux ans de plus que François Hollande ou François Fillon, et 3 ans de plus que Nicolas Sarkozy. Pour un homme politique européen c’est convenable. Pourtant Vladimir Poutine a déjà derrière lui une carrière politique impressionnante.

Récemment ma mère a croisé une de ses amies dans le rayon fromage du supermarché de la capitale dans laquelle elles résident toutes les deux. Cette amie est une française d’environ soixante ans, catholique et d’un bon niveau social. Elle a beaucoup voyagé, surtout en Europe et c’est une personne plutôt ouverte d’esprit. Celle-ci donc, croisant ma mère, lui demanda la chose suivante: "ce n’est pas trop dur pour ton fils en Russie avec Poutine"?

L’homme vient justement de fêter ses 60 ans dimanche dernier. Soixante ans c’est seulement deux ans de plus que François Hollande ou François Fillon, et 3 ans de plus que Nicolas Sarkozy. Pour un homme politique européen c’est convenable. Pourtant Vladimir Poutine a déjà derrière lui une carrière politique impressionnante: deux mandats de président et un de premier ministre, soit déjà 12 ans à la tête du plus vaste pays du monde, désormais sixième économie de la planète.

Son anniversaire est passé relativement inaperçu en Russie, mais a suscité nombre de commentaires venimeux dans la presse française, qui a par exemple qualifié son anniversaire de célébration à la nord Coréenne, au seul motif que des mouvements de jeunesse russe auraient célébré l’évènement en lui offrant une vidéo et en organisant ici ou là quelques démonstrations de soutien. Diantre!

Il est vrai que l’homme ne laisse pas indifférent, en Russie comme ailleurs. Mais n’en déplaise à certains commentateurs et/ou journalistes étrangers, Vladimir Poutine a fêté son anniversaire avec sobriété, en famille, et par ailleurs sa côte de popularité reste très élevée en Russie. Pour «l’indice de confiance du peuple russe», il reste clairement le numéro un parmi tous les hommes politiques du pays. Après 12 ans à la tête de l’état, malgré l’usure politique naturelle et inévitable, malgré deux guerres et une crise financière, malgré surtout une incroyable pression géopolitique, politique et médiatique, Vladimir Poutine est toujours là et semble plus solide que jamais. Après avoir été élu pour la troisième fois à la présidence du pays avec 63% des voix au premier tour, il bénéficie toujours d’une popularité supérieure à celle de tout homme politique européen même au lendemain de son élection. Un sondage confirmait récemment que sa côte de popularité restait stable autour de 50% alors qu’une femme russe sur cinq se dit même prête à l’épouser.

De toute évidence, le soutien dont il dispose au sein de la population russe est inversement proportionnel à la gêne qu’il suscite et à l’incompréhension à laquelle il fait face en Occident. Souvent, ses manières brusques et son franc parlé populaire lui sont reprochés, et force est de constater que le style Poutine est à 1.000 lieues de celui des énarques français par exemple, tout autant que de celui des fonctionnaires de la commission européenne. Jamais le patron de la Russie ne s’est en effet encombré de phrases incompréhensibles ou d’un style trop formel. Il est sportif et le montre, comme par exemple Jorg Haider à son époque, et tout comme les présidents Américains, il n’hésite pas à monter à bord d’un avion de chasse. Jamais enfin le président russe n’hésite à se montrer tel qu’il est, torse nu et biceps saillants, que ce soit au fin fond de la nature russe ou encore en sportswear lors d’une fête de jeunes militants de groupes de jeunesses patriotiques. Bien sur cette communication est organisée à la perfection, mais elle semble bien coller au personnage: Vladimir Poutine est fondamentalement un homme de terrain, ce que ne sont plus les dirigeants de l’Union Européenne, qu’il s’agisse des politiques ou des hauts fonctionnaires.

Récemment, une de mes amies, une jeune femme Turque qui réside en Russie depuis longtemps, me disait la même chose d’Erdogan, qu’elle remerciait en quelque sorte d’avoir redonné de la fierté et de la dignité aux Turcs. "Nous ne sommes plus à genoux à supplier pour devenir ce que nous ne somme pas… Notre avenir est en orient" me disait-elle. Je ne peux m’empêcher de comparer cette réflexion avec le tropisme "Est" qui gravite depuis longtemps dans les pensées des élites russes. Un tropisme économique certes, mais également sans doute et de plus en plus fondamentalement civilisationnel, accentué par la crise systémique de l’occident. Cette similitude d’orientation entre les deux pays s’accompagne d’ailleurs d’une similitude de style de gouvernance mais aussi de principe. Vladimir Poutine, comme du reste les dirigeants des BRICS, de la Turquie ou du Venezuela placent la souveraineté (politique et économique) comme la clef de voute de leur "gouvernance". Pour quelles raisons?

Un analyste français, Xavier Guilhou (par ailleurs spécialiste de la Syrie) a mis le doigt au cours d’une émission radio sur ces différences fondamentales entre Vladimir Poutine ou Recep Erdogan et la majorité des dirigeants européens: les premiers sont en quelque sorte pour lui des combattants et des guerriers, les seconds absolument pas. Bien sur on peut se dire que cela n’a aucune importance et que des leaders politiques transparents, hauts fonctionnaires, vont pouvoir tranquillement faire face aux enjeux incroyables des prochaines années, mais on peut aussi sincèrement en douter. Regardons les choses en face: le printemps arabe laisse place à un hiver Salafiste, la Russie voit fatalement son flanc sud devenir plus instable, que ce soit dans le Caucase ou en Asie centrale, et cette instabilité devrait s’accentuer avec le départ prochain des troupes occidentales d’Afghanistan. Avec la crise financière en surplus je crois qu’il y a des raisons de comprendre l’inquiétude des élites russes. Cette prévisible instabilité explique peut être, et sans doute, le retour de Vladimir Poutine pour ce mandat présidentiel, en lieu et place de Dimitri Medvedev.

Si j’avais été avec ma chère mère dans le rayon fromage français de se supermarché, je pense que c’est en gros ce que j’aurais répondu a cette amie "éclairée". Je lui aurais dit qu’on peut être plutôt content qu’un capitaine aguerri tienne le gouvernail Russe car s’il faut de la force et de l’autorité pour diriger cette machine chaotique qu’est la Russie, il faut aussi beaucoup d’énergie pour maintenir harmonie et cohésion au sein des russiens. Mais surtout, on peut légitimement penser qu’un "combattant" soit plus apte à diriger un pays, lorsque celui-ci fait face a des défis historiques, ce qui dans les prochaines années devrait être le cas non seulement de la Russie, mais également de la majorité des pays du continent.

L’opinion exprimee dans cet article ne coïncide pas forcement avec la position de la redaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

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